Ce sujet est en vogue à la SAB depuis l'excellente conférence de Roland Lehoucq en janvier 2025. D'éminents physiciens nous annoncent qu'on ne voyagera jamais vers d'autres étoiles et qu'on est condamnés à notre vaisseau terrestre. Roland Lehoucq le dit, Vincent le dit, et j'ai même entendu Michel Mayor, prix Nobel de Physique pour avoir découvert la première exoplanète il y a trente ans, le dire.La science nous a appris les limites physiques (vitesse de la lumière) et à calculer aussi. L'énergie nécessaire pour propulser même un tout petit vaisseau à une fraction significative de la vitesse de la lumière est juste démentielle. À moins d'arriver à faire des trous de vers ou autres trucs totalement spéculatifs (et qui requièreraient vraisemblablement tout autant d'énergie), on n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais. Ce n'est pas du pessimisme, c'est la réalité.
Ils pointent tous les limites physiques qui s'opposent à ce voyage et l'énergie démentielle qu'il faudrait.
Ce qui me saute à l'esprit comme un alien surgirait de son cocon d'acide, c'est que l'on affirme, en anticipant même la critique qui serait de dire que dans les temps anciens on n'aurait pas pu prédire tout ce que l'on peut faire aujourd'hui. Non, cette fois, on a tout compris, notre physique est solide et on a tous les éléments pour conclure. On n'y arrivera pas : "c'est la réalité."
[*] Peut-être alors est-ce le moment de se rappeler qu'en physique et en science, on ne devrait jamais être affirmatif, on ne devrait jamais dire jamais, que l'humilité face aux réalités qu'on décrit nous impose la mesure et nous abroge le ton sentencieux. On peut prendre juste un exemple que l'on aime tant citer avec Vincent. Il y a un peu plus de cent ans, on pensait avoir tout découvert de la physique, tout compris de l'Univers, il ne restait que deux petits nuages.
Citons Lord Kelvin
Ces deux petits nuages allaient mener aux deux grandes théories qui dominent la physique aujourd'hui : la relativité et le mécanique quantique.La science physique forme aujourd’hui pour l’essentiel un ensemble parfaitement harmonieux et pratiquement achevé. Il reste deux petits nuages sombres qui viennent obscurcir le tableau.
Or en 2025, ce ne sont pas deux petits nuages qui assombrissent la physique, c'est une gigantesque masse de matière sombre et un ouragan d'énergie sombre qui font qu'on ne connait vraiment que 5 % de l'énergie de l'Univers. Peut-on être si catégorique quand on ne maitrise que 5% du problème.
On ne sait rien de l'énergie, si l'expansion est due à une énergie sombre, on ne sait rien de l'espace-temps, et donc du temps, si l'expansion est une constante cosmologique. On ne sait pas non plus très bien ce que c'est que la flèche du temps, à part une vague idée de l'entropie. Et les deux grandes physiques, avec chacun une définition différente du temps, sont aujourd'hui incompatibles. On ne peut pas affirmer que l'on trouvera une solution dans de nouvelles théories, mais on ne peut pas affirmer non plus le contraire.
[*] La limite physique est énoncée par des physiciens... Mais quand on écoute la conférence de Roland, on n'en conclut pas que le voyage est impossible... On en conclut qu'il est possible de visiter le système le plus proche... en 80 000 ans. Il n'y a pas de limite physique , il y a plus une limite biologique. Évidemment, ça parait invraisemblable de vivre 80 000 ans. Mais ne regarde-t-on pas cela au prisme de notre métabolisme rapide ? La science s'amuse toujours à pousser les logiques jusqu'au bout. La SF est pleine d'idées de cryogénisation, de ralentissement du métabolisme ou autre. On se doute bien que c'est difficilement réalisable, mais que sait-on précisément de la vie ? Le biologistes ne sont sans doute pas plus pétris de certitude que les physiciens sur leur propre objet d'étude.
Allons encore plus loin. Que veut dire le "on " dans "on n'ira pas vers les étoiles". Le "on" implique un être conscient de ce qu'il fait, de là où il est. Mais, pire que la vie, que sait-on de la conscience ? Un truc conscient nécessite-t-il un support biologique ? Et voilà que le problème se décale sur la cybernétique, le transhumanisme, mais aussi sur le philosophique et sur l'éthique.
[*] "on n'ira pas vers les étoiles". Le "on" est même ici collectif. On ne parle pas d'un individu, ni même d'une équipe en mission, le "on" sous-entend l'humanité. Homo Sapiens a en gros 200 000 ans, et c'est clair qu'un voyage de 80 000 ans ça fait déjà pas mal, même pour une espèce. Mais finalement, ce voyage ne peut-il pas être le projet d'une espèce ? Si on sait que l'humanité va forcément disparaitre, au plus à la mort du Soleil, l'espèce humaine ne peut-elle pas fonder le projet de partir de son berceau, pour se sauvegarder ? Devenir une espèce nomade interstellaire, avec l'idée de construire un "vaisseau planète", comme un substitut mais forcément imparfait de notre Terre qui va mourir. Et puis foutu pour foutu, on trouverait un moyen de stocker l'ensemble de l'énergie du Soleil, lui qui va disparaitre de toute façon. Sacré défi tout de même. Mais quand on voit l'état de l'humanité en ce moment, on se demande si le plus grand défi ne serait pas social et politique. Et si l'humanité peut devenir une véritable entité, prête à se rassembler dans un projet collectif pour sa propre survie. Ne serait-ce pas là son plus grand frein ? Ce qui la mène inexorablement à sa perte...