"On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Astro, espace, cosmologie ... Générales ou plus pointues, voici l'espace des "grandes questions".
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Eric Chariot
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"On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Eric Chariot »

Ce titre est issu d'un commentaire de notre ami et néanmoins président Vincent sur FB. Je vous mets ici l'extrait complet.
La science nous a appris les limites physiques (vitesse de la lumière) et à calculer aussi. L'énergie nécessaire pour propulser même un tout petit vaisseau à une fraction significative de la vitesse de la lumière est juste démentielle. À moins d'arriver à faire des trous de vers ou autres trucs totalement spéculatifs (et qui requièreraient vraisemblablement tout autant d'énergie), on n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais. Ce n'est pas du pessimisme, c'est la réalité.
Ce sujet est en vogue à la SAB depuis l'excellente conférence de Roland Lehoucq en janvier 2025. D'éminents physiciens nous annoncent qu'on ne voyagera jamais vers d'autres étoiles et qu'on est condamnés à notre vaisseau terrestre. Roland Lehoucq le dit, Vincent le dit, et j'ai même entendu Michel Mayor, prix Nobel de Physique pour avoir découvert la première exoplanète il y a trente ans, le dire.
Ils pointent tous les limites physiques qui s'opposent à ce voyage et l'énergie démentielle qu'il faudrait.
Ce qui me saute à l'esprit comme un alien surgirait de son cocon d'acide, c'est que l'on affirme, en anticipant même la critique qui serait de dire que dans les temps anciens on n'aurait pas pu prédire tout ce que l'on peut faire aujourd'hui. Non, cette fois, on a tout compris, notre physique est solide et on a tous les éléments pour conclure. On n'y arrivera pas : "c'est la réalité."

[*] Peut-être alors est-ce le moment de se rappeler qu'en physique et en science, on ne devrait jamais être affirmatif, on ne devrait jamais dire jamais, que l'humilité face aux réalités qu'on décrit nous impose la mesure et nous abroge le ton sentencieux. On peut prendre juste un exemple que l'on aime tant citer avec Vincent. Il y a un peu plus de cent ans, on pensait avoir tout découvert de la physique, tout compris de l'Univers, il ne restait que deux petits nuages.
Citons Lord Kelvin
La science physique forme aujourd’hui pour l’essentiel un ensemble parfaitement harmonieux et pratiquement achevé. Il reste deux petits nuages sombres qui viennent obscurcir le tableau.
Ces deux petits nuages allaient mener aux deux grandes théories qui dominent la physique aujourd'hui : la relativité et le mécanique quantique.
Or en 2025, ce ne sont pas deux petits nuages qui assombrissent la physique, c'est une gigantesque masse de matière sombre et un ouragan d'énergie sombre qui font qu'on ne connait vraiment que 5 % de l'énergie de l'Univers. Peut-on être si catégorique quand on ne maitrise que 5% du problème.
On ne sait rien de l'énergie, si l'expansion est due à une énergie sombre, on ne sait rien de l'espace-temps, et donc du temps, si l'expansion est une constante cosmologique. On ne sait pas non plus très bien ce que c'est que la flèche du temps, à part une vague idée de l'entropie. Et les deux grandes physiques, avec chacun une définition différente du temps, sont aujourd'hui incompatibles. On ne peut pas affirmer que l'on trouvera une solution dans de nouvelles théories, mais on ne peut pas affirmer non plus le contraire.

[*] La limite physique est énoncée par des physiciens... Mais quand on écoute la conférence de Roland, on n'en conclut pas que le voyage est impossible... On en conclut qu'il est possible de visiter le système le plus proche... en 80 000 ans. Il n'y a pas de limite physique , il y a plus une limite biologique. Évidemment, ça parait invraisemblable de vivre 80 000 ans. Mais ne regarde-t-on pas cela au prisme de notre métabolisme rapide ? La science s'amuse toujours à pousser les logiques jusqu'au bout. La SF est pleine d'idées de cryogénisation, de ralentissement du métabolisme ou autre. On se doute bien que c'est difficilement réalisable, mais que sait-on précisément de la vie ? Le biologistes ne sont sans doute pas plus pétris de certitude que les physiciens sur leur propre objet d'étude.
Allons encore plus loin. Que veut dire le "on " dans "on n'ira pas vers les étoiles". Le "on" implique un être conscient de ce qu'il fait, de là où il est. Mais, pire que la vie, que sait-on de la conscience ? Un truc conscient nécessite-t-il un support biologique ? Et voilà que le problème se décale sur la cybernétique, le transhumanisme, mais aussi sur le philosophique et sur l'éthique.

[*] "on n'ira pas vers les étoiles". Le "on" est même ici collectif. On ne parle pas d'un individu, ni même d'une équipe en mission, le "on" sous-entend l'humanité. Homo Sapiens a en gros 200 000 ans, et c'est clair qu'un voyage de 80 000 ans ça fait déjà pas mal, même pour une espèce. Mais finalement, ce voyage ne peut-il pas être le projet d'une espèce ? Si on sait que l'humanité va forcément disparaitre, au plus à la mort du Soleil, l'espèce humaine ne peut-elle pas fonder le projet de partir de son berceau, pour se sauvegarder ? Devenir une espèce nomade interstellaire, avec l'idée de construire un "vaisseau planète", comme un substitut mais forcément imparfait de notre Terre qui va mourir. Et puis foutu pour foutu, on trouverait un moyen de stocker l'ensemble de l'énergie du Soleil, lui qui va disparaitre de toute façon. Sacré défi tout de même. Mais quand on voit l'état de l'humanité en ce moment, on se demande si le plus grand défi ne serait pas social et politique. Et si l'humanité peut devenir une véritable entité, prête à se rassembler dans un projet collectif pour sa propre survie. Ne serait-ce pas là son plus grand frein ? Ce qui la mène inexorablement à sa perte...
?>!
Georges Leterme
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Re: "On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Georges Leterme »

Ouf ! Enfin !... Depuis le temps que je répète ici, inlassablement, que notre science n'est que provisoire et qu'elle peut même être archi-fausse... Voilà qui fait du bien ! Merci Eric !!

"Si tu ne vas pas vers les étoiles, les étoiles viendront à toi". Nous serons un jour dans une étoile, si l'humanité durait suffisamment longtemps (sûrement pas...), car quand le Soleil sera une supernova nous serons dedans.

"La science achevée ?!" Louis de Broglie y a répondu par une belle lapalissade : "Pour le savant, croire la science achevée est toujours une illusion aussi complète que le serait pour l'historien de croire l'Histoire terminée".
Vers l'an 2000 les savants déclaraient que l'Univers était "plat" (globalement euclidien). Vers 2020 ils le déclaraient en expansion accélérée... Demain il sera quoi ?
Bravo aussi pour le "on" ! "On ira tous au paradis", merci Mihel Polnareff.
Et vive la SAB !
Francois Meyer
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Re: "On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Francois Meyer »

(c'est un peu long, désolé...)

En 400 ans la physique a produit (pour se limiter aux champs concernés
par le voyage interstellaire) en gros 5 cadres conceptuels, 3 classiques
la mécanique newtonienne, les équations de mawxell, la
thermodynamique, et deux modernes la RG et la mécanique quantique.

L'écrasante majorité de tout ce que nos sociétés produisent relève
des trois premiers et repose donc sur des concepts qui ont ~150 ans pour
l'électromagnétisme et la thermodynamique et 350 ans pour la
mécanique newtonienne.

La recherche travaille dans l'espace existant entre la réalité telle
que décrite par les théories existantes et la réalité elle-même.
Cet espace est devenu d'une part très réduit et d'autre part
formidablement contraint. Réduit, pour trouver un phénomène qui
challenge les cadres existant il faut aller chercher aux confins de
l'univers ou aux confins de la matière. Et contraint par un siècle
d'expériences, basées sur des progrès technologiques bien réels, qui
ont mis à l'épreuve sous toutes les coutures les cadres théoriques
existant, classiques et modernes, sans parvenir à les remettre en cause
conceptuellement.

Ça ne veut pas dire que la physique est finie, ça veut dire que les
progrès sont de plus en plus difficiles à faire émerger. On peut
faire l'analogie avec la vitesse de la lumière, plus on s'en approche
plus il est difficile de s'en approcher davantage.

La physique n'a rien produit de conceptuellement nouveau depuis 1
siècle. Si on aime un peu la provocation on peut même défendre
l'argument qu'elle n'a jamais été aussi improductive (en terme de
nouveaux concepts). 150 ans de progrès technologiques ont permis de
pousser les 3 cadres classiques aux limites de ce qui est physiquement
possible, et chaque test mené n'a fait que renforcer leur validité.

La RG est une construction absolument remarquable mais qui n'a
d'implications que dans un domaine extrêmement restreint, palliant les
défauts des cadres classiques dans des conditions extrêmes, sans
remettre en cause leur validité générale. On peut dire à peu près
la même chose de la MQ.

Une fois qu'on a retiré le bullshit médiatique qui constitue 99.99%
des prétendues "révolutions quantiques" ou des "solutions
cosmologiques" exotiques genre trou de ver, il ne reste "que" le coeur,
essentiel de la science en marche très lente vers une meilleure
compréhension de l'univers.

Bref.

La Terre des architectes c'est une Terre plate, modèle valide depuis
des millénaires pour construire une maison.

Pour un avion, et même pour des satellites, le modèle qui va bien
c'est la mécanique newtonienne.

Quasiment toute l'électronique moderne c'est des équations de Maxwell.

Et la lumière met 4 ans à venir d'alpha centauri.

On peut rêver que tout ça va être balayé par une prochaine
révolution conceptuelle, mais c'est sans doute plus un acte de foi
qu'un espoir raisonné et fondé.

Pour toutes ces raisons, je suis à ranger dans le rang des pessimistes,
on n'ira sans doute jamais dans les étoiles en moins de plusieurs vies d'homme.

C'est dommage évidemment.

La gravité nous empêche de voleter d'arbre en arbre.
C'est dommage aussi.

Dommage mais pas déprimant. On n'a pas besoin de la science pour
imaginer, rêver ou raconter des histoires fantastiques sur le sujet.
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Vincent Boudon
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Re: "On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Vincent Boudon »

Le sujet est passionnant et mériterait de longues soirées autour de bons verres :sabastronaute
Et donc difficile de faire ici des réponses courtes. Et pourtant c'est toujours incomplet, tant il y a à dire.

En fait je suis à peu près d'accord avec tout ça. Mais je reste très pessimiste pour le voyage vers les étoiles … mais en vrai ce pessimisme-là n'est pas bien grave :lol:

Après, le propos n'est pas d'empêcher de rêver. Mais une question d'abord (comme toujours) de culture scientifique. La plupart du public n'a pas d'idée réelle des distances des étoiles, des énergie invraisemblables à mettre en jeu, etc. Pour beaucoup, "bah on prend une fusée et c'est bon" :mrgreen:

- Faire voyager un vaisseau spatial (forcément très très lourd), habité, à une vitesse relativiste est réellement hors de portée vue l'énergie nécessaire. Là, la physique est têtue et une nouvelle physique ne changera rien à la quantité d'énergie nécessaire.

- Trous de ver, hyperespace, etc, restent des spéculations que les geeks adorent, mais des spéculations quand même. Et, à supposer que ça existe vraiment, l'énergie nécessaire reste vraisemblablement hallucinante.

Effectivement, en termes de concepts totalement nouveaux, la physique piétine depuis des décennies. Plutôt d'accord avec l'analyse de François.

Alors oui, après, il y a d'autres solutions : accepter de voyager très lentement. La SF aborde aussi ces thèmes-là.

- Avec des "vaisseaux générationnels", avec une population suffisante à l'intérieur pour que plein de générations s'y succèdent. Ceux qui arriveront seront les lointains descendants de ceux qui sont partis. Il faut une gravité artificielle. De quoi cultiver pour nourrir tout ce beau monde. Une structure forcément gigantesque. Que tout ça fonctionne pendant des dizaines de milliers d'années …

- L'hibernation. OK ça marche pas actuellement, mais on peut imaginer que ça devienne possible. Dans un vaisseau automatique, qui doit là aussi fonctionner sans anicroche pendant un temps super long.

Dans les deux cas, il faut d'abord une véritable "industrialisation de l'espace" comme disait Roland Lehoucq. Cela suppose une humanité (unie, en paix :mrgreen: ) entièrement focalisée sur ce but et y mettant quasiment toutes ses ressources. On peut alors ce demander si le jeu en vaut la chandelle.

Ou alors … On arrive vraiment à développer une intelligence artificielle, consciente. Et ce sont des machines qui nous succèdent. Ce sont elles qui voyagent. Lentement. Mais elles ne seront pas pressées. Elle ne respirent pas, ne mangent pas, ne boivent pas. Il leur faudra quand même de l'énergie, mais sans doute beaucoup moins. L'expansion vers les étoiles sera-t-elle réservée aux robots ? Dans ce cas, le "on" n'est pas l'humanité ;-)
Vincent
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Vincent Boudon
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Re: "On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Vincent Boudon »

Et en fait, faut pas me tirer les oreilles, car même longue, mas réponse ne me satisfait pas vraiment :drapeau

Faudrait littéralement un bouquin entier pour discuter de ça :mrgreen:
Vincent
Georges Leterme
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Re: "On n'ira pas vers les étoiles. Probablement jamais."

Message par Georges Leterme »

Voilà un fil qui fait phosphorer les boyaux de la tête !
Belle rétrospective François !
Bien vu le "plus on s'approche de la vitesse de la lumière, plus il est difficile de s'en approcher davantage".
Idem pour battre des records en sport. Mais au final on tombe sur un mur infranchissable : la vitesse de la lumière, ou un record ultime qui ne sera jamais plus battu (il faudra bien que ça s'arrête ; on ne verra jamais un 100m en 1 seconde).
Je vois là comme une contradiction. Car cela veut dire que la Physique va inexorablement vers sa fin. Et ce que tu décris si bien, c'est est son agonie.
Une prochaine révolution conceptuelle pour empêcher cela ? Tu dis que c'est un acte de foi plutôt qu'un espoir raisonné et fondé. Tu t'avoues pessimiste. As-tu raison ou tort ? Seul l'avenir le dira.

Oui Vincent, il faudrait un bouquin entier pour en discuter.
J'aime bien ton développement sur le voyage spatial, basé sur l'énergie en jeu.

Au total, deux pessimistes ! Et qui ont de fortes chances d'avoir raison.
J'aime tellement m'amuser sur ce Forum (je l'ai déjà dit) que je ne peux m'empêcher de choisir "l'acte de foi", avec de très faibles chances…
Quand j'étais étudiant (1955…) les physiciens démontraient péremptoirement qu'on ne verrait jamais un atome (loi de l'optique : l'image d'un point est une tache de diffraction). Sauf qu'ils n'avaient pas imaginé le "microscope à effet tunnel" qui montre les atomes de surface et dont on ne peut plus nier l'existence.
Quant à l'énergie, on ne sait même pas ce que c'est ! (On connait ses effets, on sait la mesurer et l'exploiter, mais on ne sait pas ce que c'est…)
Vos raisonnements sont lisses, comme un continuum. Il faut espérer une "cassure" : une découverte ou un concept qui renverse tout !
On s'acharne à essayer de prouver que les masses pesante et inerte d'un corps peuvent être différentes (pour cautionner de nouvelles théories qui le prétendent). S'il s'avère que c'est le cas, la relativité s'écroule et on repart à zéro. On ne s'acharne pas autant à vérifier le principe d'inertie, à la base de toute la Physique. Imaginez qu'il soit faux !
Pour bien délirer (j'adore, mais c'est de l'irrespect pour le sérieux de ce Forum…) imaginez que l'on découvre, par exemple, qu'un corps soumis à aucune force est soit au repos, soit en mouvement sinusoïdal sur des milliards d'années. C'est un mouvement très naturel que l'on rencontre partout en Physique et qui dérive d'un mouvement circulaire uniforme (on ne peut faire plus simple). Alors pour nous, sur le minuscule créneau que l'on occupe, c'est bien notre principe d'inertie que nous observons.
Fin de mon jeu (j'ai bien divagué !)
Soit en bref, pour vivre heureux il vaut mieux me croire. Oui, tout ça peut rebondir !
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